Ismaïl Nassif, le sage des courses marocaines

COURSES HIPPIQUES

Président de la société des courses de Casablanca et propriétaire d’une écurie, Ismaïl Nassif
véhicule une image noble et élégante des hippodromes. Dépositaire de l’histoire séculaire des courses marocaines, il a aussi une vision d’avenir qui pèse dans la filière équine.


«Vous n’allez pas me faire rater ma partie de golf!» Ismaïl Nassif avait été clair. On ne touche pas au sacré. Rendez-vous avait donc été pris avec le président de la société des courses hippiques de Casablanca, à son bureau du quartier des Roches Noires de la Capitale économique, celui de sa société d’importation de bois, Ismawood. Et ce n’est pas un petit 18 trous qui a eu raison de notre interview mais une grosse grippe mal soignée.
Que nenni, d’un commun accord, nous décidions qu’un entretien téléphonique ferait l’affaire. A la première question sur ses premiers pas dans les courses de chevaux, notre interlocuteur prit, sinon la poudre d’escampette, tout au moins la mouche. «Vous vous rendez compte, vous me demander de passer au crible quarante ans de ma vie» lance-t-il. «Voyons nous, je vous invite à déjeuner, demain.»
On ne contredit pas Ismaïl Nassif. Pas davantage qu’on ne touche au sacré. C’est donc après un de ses parcours quotidiens sur les greens du Royal Golf de Mohammedia que nous l’avons rejoint pour parler de sa vie et des courses de chevaux. Ça tombe bien, les deux sont liées chez cet homme à la sagesse infinie.
La sagesse est d’ailleurs le mot qui qualifie le mieux celui qui vient de franchir la cap de huit décénies. C’est aussi le mot qui revient le plus souvent dans la bouche de ceux que nous avons interrogés à son sujet. C’est Ahmed Tariq, éleveur et propriétaire d’une écurie de courses, qui résume le mieux le sentiment général. «Ismaïl Nassif est le grand sage des courses marocaines» précise-t-il. «Il va aux courses d’une manière noble, malheureusement très rare aujourd’hui. C’est un gentleman. Il fait preuve d’élégance, de sportivité. En fait, il aborde les courses comme un plaisir, une passion, pour satisfaire son amour des chevaux et non pour rentabiliser un investissement. Et ça fait toute la différence.»
Déjà, lorsqu’il pratiquait le tennis au Raçing Universitaire de Casablanca, seul le plaisir comptait. «Je n’ai jamais cherché à atteindre un classement» confirme-t-il. En abandonnant les balles de tennis pour les petites balles de golf, il changera un peu son fusil d’épaule, jeu de mots assez facile pour un homme qui voue également une passion séculaire à la chasse. Il compilera quelques tournois, le temps d’atteindre un handicap 15. Mais ça lui passera vite.
En revanche, la passion des chevaux est venue très tôt dans sa vie. Elle n’est jamais partie. Entre les salades marocaines et la daurade au beure, il nous parlera de sa naissance dans la médina de Marrakech, Derb Habib Allah, dans le quartier Mouassine. Il nous parlera de son enfance dans les 700 hectares de la ferme familiale de Safi où il a appris à monter les chevaux à cru «en s’accrochant à la crinière» précise-t-il. De Haj Bouchaïb, ce père agriculteur, il attrape le virus de la nature surtout que le décès précoce, sur la route d’Essaouira, de ce frère aîné trop vite parti l’a rapproché de son papa et de ses activités. Et éloigné de l’école.
Du coup, il ne quittera Safi qu’à 27 ans pour poser ses valises à Casablanca en 1961. Après une expérience réussie dans une société d’Etat, il se lancera avec succès sur le chemin escarpé de l’entreprenariat dans le domaine du bois. Fondateur de COMAR Bois - dont il est toujours actionnaire et qu’il dirigera jusqu’en 2002-, il connait aujourd’hui de jolis résultats à la tête de son dernier bébé Ismawood. «Et j’ai même racheté 38% d’une autre société qui cartonne aussi dans le secteur» précise Ismaïl pas peu fier de son joli coup.
Entre le bois et les chevaux, il s’est toujours partagé. Et regrette que la seconde activité ait souffert de son implication dans la première. Surtout quand les mêmes employés passaient d’une structure à l’autre et pouvaient semer le désordre partout, au gré des humeurs et des conflits. Ismaïl ne compte plus les fois où il a dû rebâtir un élevage, reconstruire les écuries, repartir de zéro avec du nouveau personnel. «Ça fait partie du charme, de l’histoire d’une vie» dit celui qui est venu aux courses par hasard. Car, si ses filles Nadia et Ghizlane s’adonnaient aux sauts d’obstacles - Nadia fut même championne du Maroc cadettes - rien ne le prédestinait à fréquenter les champs de courses.
C’est un ami, M. Membrives, propriétaire de quelques chevaux, qui le motive à acquérir son premier arabe-barbe, Voix lactée. Surtout, il lui présente Pierre Pélissard, propriétaire, grande figure des courses marocaines. Le courant passe si bien qu’Ismaïl achète quatre juments à Pélissard. Sans écurie, il s’associe avec le propriétaire d’une ferme à Sidi Bettach, près de Ben Slimane. Mauvaise pioche, les trois-quart des chevaux sont frappés de septicémie.
Il finira par louer une ferme à Bouskoura et transfere la dernière jument. «Je m’en souviens comme si c’était hier» confie-t-il avec émotion. Il se rend à Ivry où il achète deux chevaux Saint-Epain et Scoumoune, qui porte mal son nom, puisque l’écurie Nassif gagne ses premières courses. Et une marque de fabrique : celle du pur-sang anglais, qui fait battre le cœur d’Ismaïl Nassif. «Je sais que tout le monde n’est pas d’accord avec moi mais je n’aime pas importer» confie celui qui voue une reconnaissance infinie à Feu Sa Majesté le Roi Hassan II. «C’est Sa majesté qui a montré la voie pour les courses de chevaux de pur-sang anglais» dit-il. «Lyazidi était également très présent. Moi, modestement, j’ai essayé de suivre le mouvement.»
Il fera mieux que ça. Il gagnera beaucoup de courses «mais pas de Grand Prix» précise-t-il. Il sera même élu Président de l’Association Marocaine des pur-sang anglais. Il l’est d’ailleurs toujours à la tête d’un mandat où il n’a eu de cesse de promouvoir le développement de l’élevage. «Le regretté Jean-Pierre Laforest, ancien directeur du Haras Royal m’a beaucoup aidé» glisse-t-il.
Surtout, il a pris la succession de Feu Ahmed Karimine - le père de M’hamed - à la présidence de la société des courses de Casablanca. «Avec Feu Ahmed, nous avons essayé de faire bouger les choses» se souvient Ismaïl. «Nous avons notamment construit la grande tour sur l’hippodrome de Casablanca-Anfa ainsi que les installations pour les paris. Pour être sincère, je suis assez nostalgique de cette époque surtout que quand je vois, M’Hamed Karimine aux courses, j’ai l’impression de revoir son papa. C’est son portrait craché. Il est aussi droit que lui. Et surtout, il est aussi fonceur que lui... »
Ismaïl Nassif a moins d’ambitions. Avec son écurie de cinquante chevaux basés à Casablanca, il vise seulement les premières places sur le podium du plaisir. «Ça m’amuse beaucoup, et c’est mon objectif» confirme-il. «Je n’en fais pas un business et d’ailleurs je n’en ai jamais fait un business. Et ce bonheur, j’ai les moyens de me le payer. Je n’ai rien à demander à personne. Pour gagner de l’argent, je vais travailler dans ma société.» Ismaïl a autre chose à présenter sur son CV qu’une compilation de victoires. «Je n’ai presque rien acheté, c’est ma fierté» avoue-t-il. «90% de mes chevaux sont nés et élevés chez moi...»
Son entraîneur est aussi un produit du cru. Larbi Charkaoui était apprenti chez le mentor d’Ismaïl, Pierre Pélissard. «Larbi est bien chez moi, je ne lui mets pas beaucoup la pression» rigole Ismaïl. «C’est surtout une manière de donner un sens à l’histoire».
Celle des jockeys devrait être réécrite dans les prochains mois. «Les jockeys, c’est mon gros problème» lâche Ismaïl. «A moyen terme, j’ai décidé de ne plus avoir recours à des collaborations extérieures. Je veux recruter un maximum de jeunes chez moi. Et j’ai bien l’intention de m’appuyer sur l’école de jockeys de l’Institut National du Cheval Prince Héritier Moulay El Hassan, qui fait un travail remarquable à Rabat. J’ai des apprentis, dont un jeune Ali, qui promettent beaucoup. Et c’est dans cette école que M’hamed Karimine a trouvé Zouhair Madihi. On ne peut pas dire qu’il s’en plaigne.»
Ismaïl Nassif connait bien la corporation des jockeys, car Moulgil, son ancien entraîneur historique - il est resté 13 ans à ses cotés - en a formé beaucoup. «Ils ont pris de mauvaises habitudes ailleurs, et ça me déplaît» constate Imsaïl. «J’interdis de taper les chevaux pour rien. Si on a un bon cheval, on gagne. Sinon, on le laisse tranquille. Je vais finir par arrêter de donner des bâtons à des gens qui ne savent pas s’en servir.»
Ismaïl Nassif ne mâche pas ses mots. Il a l’âge pour ça. Il a l’expérience. Il a connu la période où l’on donnait le programme des courses d’une semaine à l’autre. Il a surtout une vision de l’avenir. On comprend mieux pourquoi sa parole est une des paroles qui compte dans la filière équine. «Ismaïl Nassif a l’oreille du directeur général de la SOREC, Omar Skalli» dit M’Hamed Karimine. «Et c’est d’ailleurs un des talents d’Omar Skalli d’avoir su s’appuyer sur Ismaïl qui est dépositaire de l’histoire des courses au Maroc.»
Il salue d’ailleurs le travail du colonel Daoudi missionné, au début des années quatre-vingt par Feu sa Majesté le Roi Hassan II, pour se pencher sur le chevet des courses marocaines. «Il a mis les pieds et la tête dans la plat» dit joliment Ismaïl. «Il a résolu les problèmes d’argent puisque nous n’étions pas payés depuis longtemps. Il a travaillé sur un programme annuel des courses. Il a formé des commissaires et créé des contrôles anti-dopage. Au fond, c’est un génie qui a permis au docteur Abdelhaq Tber de créer la SOREC.»
A écouter Ismaïl Nassif, Omar Skalli est le digne successeur du colonel Daoudi. «Daoudi et Skalli resteront dans l’histoire des courses marocaines au même titre que le docteur Azzedine Sedrati qui a été un grand précurseur » lance Ismaïl Nassif qui décerne les bons points au compte-gouttes. « Omar Skalli fait beaucoup pour le cheval au Maroc.?Il pense toujours à l’intérêt général. C’est ce qui me rapproche de lui. La modernisation, c’est Skalli. La professionnalisation des retransmissions, c’est lui. La communication, c’est lui. Rendez-vous compte que des courses marocaines sont désormais retransmises sur Equidia et que des chevaux nés et élevés au Maroc courent en Europe. Qui l’eut cru?»
Certainement Ismaïl Nassif ! Si vous le croisez, le vendredi sur le champ de courses de l’hippodrome de Casablanca-Anfa, sachez que ce n’est pas seulement pour voir plus près que les autres qu’il porte des jumelles à son cou, c’est aussi pour voir plus loin...

 

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Placé comme un supplément à la fin du magazine Clin d’œil, le magazine Cheval du Maroc est un rendez-vous incontournable pour les amoureux du cheval et permet, aux non initiés de découvrir la filière équine aux multiples facettes. Il participe, également, à la création d’un lien social entre les différents intervenants du monde du cheval au Royaume. Entre les courses hippiques, le développement du cheval barbe, l’utilisation traditionnelle et moderne du cheval, l’élevage équin, le Salon du Cheval d’El Jadida, le sport équestre, les métiers du cheval ou les cartes postales du cavalier marocain Kebir Ouaddar, les intérêts de lecture ne manquent pas. 

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