Ahmed Tarik : Le cheval m’a sauvé la vie

COURSES HIPPIQUES

 

HOSPITALISÉ EN 2013, PRIVÉ DE LA VOIIX SUITE À UNE GRAVE MALADIE, AHMED TARIK A MONTÉ UNE ÉCURIE DE COURSES, DEUX ANS PLUS TARD POUR SOURIRE À NOUVEAU À LA VIE. A MARRAKECH, LOIN DE LA CONCURRENCE, IL CULTIVE SA DIFFÉRENCE. IL HONORE AUSSI LE SOUVENIR DE SON PAPA MUSTAPHA, GRAND SERVITEUR DU ROYAUME ET FIGURE EMBLÉMATIQUE DES COURSES DANS LES ANNÉES SOIXANTE-DIX. 
ET SURTOUT, CET HOMME RAFFINÉ MISE SUR LE FUTUR RAYONNEMENT INTERNATIONAL DE L’HIPPODROME DE MARRAKECH.

Les uns à Bir Jdid ou Bouznika, les autres à Khemisset ou Rabat et Ahmed Tarik, seul à Marrakech: voilà une photographie instantanée de la carte des propriétaires de chevaux de courses marocaines qui colle à la réalité. Celle de Ahmed Tarik ne doit rien au hasard. S’il cultive sa différence dans la Ville Ocre, c’est parce que son papa, Mustapha, grand serviteur du Royaume, a été un gouverneur de Marrakech très respecté entre 1974 et 1986, une longévité de 12 ans qui constitue un record inégalé pour pareille fonction.

Parler de Mustapha Tarik, ce n’est pas seulement évoquer sa carrière administrative, son passage remarqué au Ministère de l’intérieur où il géra les affaires sahariennes ou sa distinction comme Officier de la légion d’honneur décernée par l’ancien Président de la République Française Valéry Giscard d'Estaing, en 1981, pour ses actes de bravoure lors du tremblement de terre d’Agadir, en 1960, c’est aussi se plonger dans le monde des courses marocaines des années 1970.

A cette époque, si quelques éleveurs français essayent de tirer leur épingle du jeu, ce sont le Haras Royal Les Sablons et l’écurie Tarik qui affichent une domination sans contradiction sur les courses du Royaume. «Mon père a remporté tous les Grands Prix» confirme Ahmed Tarik sans masquer une pointe d’admiration. Quelques années plus tard, Ismaïl Nassif s’invitera au bal et sur les podiums. L’actuel Président de la société des courses hippiques de Casablanca complètera, avec plein de réussites, ce joli tableau à trois mains.

Ismaïl Nassif? C’est la référence d’Ahmed Tarik. Pas seulement pour la nostalgie de son amitié avec son père. «Ismaïl Nassif est le grand sage des courses marocaines» précise-t-il. «Il va aux courses d’une manière noble, malheureusement très rare aujourd’hui. C’est un gentleman. Il fait preuve d’élégance, de sportivité. En fait, il aborde les courses comme un amusement, une passion, pour satisfaire son amour des chevaux et non pour rentabiliser un investissement. Et ça fait toute la différence. C’est un exemple pour tous les autres éleveurs.»

S’il se montre autant laudateur à l’endroit d’Ismaïl Nassif, c’est que Ahmed Tarik épouse totalement sa manière d’envisager les courses. Il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre les deux hommes. A eux la passion, aux autres la pression. «Le stress, c’est pour mon frère Driss» glisse Ahmed dans un sourire.

En effet, il convient de préciser que c’est Driss, son frère, Président de l’Association des chevaux anglo-arabes au Maroc, qui a repris le damier jaune et noir de l’écurie familiale désormais nommée Belfakir. «Depuis le décès de mon père, ma maman Zoubida fait un blocage et se tient éloignée du monde des courses» confie Ahmed qui a retrouvé le chemin des écuries après une longue maladie qui a failli l’emporter.

Il a subi une laryngectomie (ablation totale du larynx) en septembre 2013. Il avait le choix entre la voix et la vie. Il a choisi la vie. Surtout, Ahmed a décidé de vivre avec les chevaux. Deux ans, presque jour pour jour après son opération, il lance son écurie à la casaque verte et aux épaulettes blanches. Il l’installe à Marrakech, route de l’Ourika (km 10), au sein d’une maison d’hôtes éponyme. Il a perdu quarante kilos avant l’opération. Aujourd’hui, il en a repris vingt. Il a retrouvé la parole. Il a d’abord appris à parler aux chevaux avec les yeux avant de causer avec les hommes par le ventre. «Parler aux chevaux a été ma meilleure thérapie» dit-il.

Pour parler avec l'oesophage, il faut avaler de l'air et le sortir pour émettre des sons comme un ventriloque. «Et j’ai progressé ensuite syllabe après syllabe» dit Ahmed qui parle surtout si joliment avec les yeux dont la pureté du regard rappelle celui d’un enfant ébahi par le monde.

La tumeur est un lointain souvenir. «Le cheval m’a sauvé la vie» dit-il pudiquement. «Après l’opération, j’ai perdu ma voix. Du coup, professionnellement, je ne pouvais plus assumer les mêmes responsabilités» poursuit celui qui fut le plus jeune directeur de banque au Maroc, en 1993, au sein du réseau Wafa Bank et qui dirigea une grande société de bois. Ahmed profite de chaque instant. «Je voulais construire une écurie à taille humaine, guidé par la passion et le bonheur de participer, être là au milieu des éleveurs et propriétaires» assure-til. «Même si je ne gagne pas, au moins j’assiste aux courses. C’est ça le plus important.»

Aujourd’hui, Ahmed Tarik a trouvé sa voie, à Marrakech, dans la promotion immobilière et dans le secteur du tourisme où le Domaine Tarik, qui s’étend sur 20 hectares, route de l’Ourika, entre les orangers, les oliviers,  les écuries et les neuf suites (de 25 à 70 m2), commence à se tailler une jolie réputation. Mais c’est dans le monde des courses qu’il puise sa respiration de bonheur à l’image d’un merveilleux doublé réalisé dans un Groupe B réservé aux pur-sang arabes avec la victoire de Danakil et la seconde place de Chahine.

Il se souviendra toute sa vie du mois de juin 2017, de la folie douce qui l’a envahie. «J’ai gagné des courses à Khemisset et à Casablanca mais c’est cette victoire dans cette course très relevée dont je suis le plus fier» confie Ahmed. «C’était un quinté. Personne ne l’a eu ! Nous nous sommes réveillés à 4 heures du matin. Nous sommes arrivés à l’'hippodrome Rabat Souissi vers 10 heures. La course était programmée à 13 heures. Malgré la fatigue des chevaux, Danakil et Chahine sont partis comme des flèches et ont raflé les deux premières places. C’était comme dans un rêve éveillé. J’avais du mal à croire que ce moment était réel. Dans le jargon des courses, on appelle ça un pénalty.»

Voilà pourquoi le cheval a été la meilleure rédemption pour Ahmed Tarik. Loin de ses démons de jeunesse et sa vie de jet-setteur. Surtout, ce jour-là, à Rabat, Mehdi, son fils aîné, qui suit de brillantes études, en Suisse, à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) était présent. «J’ai lu beaucoup de joie dans le regard de mon fils» avoue Ahmed. «C’est un peu les mêmes sentiments qui m’emportaient quand j’accompagnais mon père sur les champs de courses.»

C’est aussi le fil d’une histoire familiale qui se noue. Le papa Mustapha Tariq fut orphelin à l’âge de sept ans. C’est son grand-père Bouchaïb, éleveur de la région d’El Jadida, qui lui a inoculé la passion du cheval. Et aujourd’hui, ce sont les frères Ahmed et Driss qui perpétuent la tradition familiale. «L’élevage, c’est dans les gênes» confirme Ahmed dont l’écurie, située au km10 route de l’Ourika, compte une quarantaine de montures entre les chevaux d’élevage et les chevaux de courses. «Mes premiers poulains anglo-arabes commenceront à courir en janvier 2019. Ce sera un moment fort dans ma carrière. Et je viserai le podium. C’est un rêve. Dans le monde des courses, il faut avoir du temps. En fait, je me suis lancé un grand défi : prouver qu’il est possible d’élever des pur-sang anglais et des anglo-arabes, à Marrakech. Personne ne l’a fait.»

Exception dans le monde des courses, Ahmed Tarik cultive sa différence. Mais l’inauguration de l’hippodrome de Marrakech  lors de la 8e édition de la Conférence Internationale des Courses de pur-sang arabes, au printemps 2017, a changé son quotidien et l’autorise à espérer passer du rêve à la réalité. «Avant, j’entraînais mes chevaux dans mon domaine sur une piste labourée» précise Ahmed. «Désormais, quatre fois par semaine, les chevaux vont courir à l’hippodrome. Ils bénéficient aussi d’une meilleure récupération. Quand les courses avaient lieu à Settat, les écuries d’El Jadida étaient avantagées. Ce n’est plus le cas, et nous sommes souvent aux places d’honneur, à Marrakech.»

Il faut savoir que l’histoire de l’hippodrome de Marrakech est aussi intiment liée à celle de son papa... Feu Mustapha, grand visionnaire, avait très vite imaginé, dès le début des années 1980, que l’hippodrome de Marrakech pourrait devenir un incroyable centre d’entraînement international pour les écuries européennes. Aujourd’hui, c’est son fils Ahmed qui reprend le flambeau de ce combat.  «En hiver, il fait si froid en Europe, que les chevaux peuvent difficilement sortir s’entraîner» dit?Ahmed. «On possède toutes les infrastructures pour accueillir des écuries internationales. Non seulement, il faut saluer la qualité de l’hippodrome de Marrakech et le travail d’Achraf son directeur qui entretient parfaitement ce joyau. Mais, il convient aussi de noter les infrastructures hôtelières exceptionnelles de notre capitale touristique. En fait, il faudrait seulement créer des logements pour les lads et les entraineurs.»

Ahmed Tarik ne manque pas d’idées. Et croit à la théorie du ruissellement. «La venue d’écuries européennes  donnerait envie à nos jeunes éleveurs marrakchis de se lancer dans le monde des courses» lance Ahmed. «Les écuries locales viennent de découvrir les courses codifiées depuis 2016. C’est normal qu’elles soient assez loin des autres. Il est évident que les écuries étrangères laisseraient au Maroc des chevaux toute l’année pour participer à nos courses. Ce qui relèverait le niveau de l’hippodrome de Marrakech. En fait, l’idée c’est de donner à Marrakech un monde des courses digne de la réputation mondiale de la ville ocre.»

Ahmed Tarik mise sur un homme, Omar Skalli, le directeur général de la Société royale d'encouragement du cheval (SOREC). «Depuis sa nomination à la direction de la SOREC, Omar Skalli a été l’homme providence des courses marocaines» affirme Ahmed Tarik. «Il a fait souffler un vent de modernité sur les courses qui ressemble à une révolution. Et cet élan a porté toute la filière équine vers le haut. Toute l’énergie que Omar Skalli a donnée à l’hippodrome de Casablanca-Anfa, je ne doute pas qu’il la donnera à celui de Marrakech. C’est une question de temps, pas d’idées. Les idées? Il les a. Il ne m’a pas attendu. D’autant qu’il est entouré d’une équipe jeune, dynamique et compétente. Pour l’instant, le monde des courses à Marrakech est une terre inconnue mais le potentiel saute aux yeux.»

Ahmed Tarik a une autre marotte dont il fait également un combat militant: les courses en nocturne à Marrakech. «C’est une chance incontestable d’attirer un nouveau public vers les courses» s’enflamme Ahmed.

«Il faudrait construire une grande tribune capable d’accueillir 1000 spectateurs  et avoir une politique ambitieuse de restauration. Nous pourrions  même imaginer programmer trois courses par semaine. Et adapter une stratégie politique marketing ambitieuse à l’attention de la clientèle des hôtels de luxe et des grands restaurants de Marrakech.»

Le propriétaire de l’écurie Tarik a également une solution au problème de la pénurie de poulinières de pur-sang anglais à Marrakech. «Il faut organiser des grandes ventes aux enchères très modernes et tendances» lance Ahmed. «Et bien sûr, il faudrait mettre à disposition des étalons au haras de Marrakech afin que les éleveurs puissent saillir sur place et ne soient pas obligés de se déplacer à Bouznika ou El Jadida.»

Autant d’ambitions pourraient pousser Ahmed Tarik à briguer la présidence de la société hippique des courses de Marrakech. Il n’en est rien. «Je ne veux plus de conflits» coupe-t-il. «Le cheval doit rester quelque chose de joyeux dans ma vie. Je veux bien être force de propositions, participer à des discussions mais cette responsabilité ne m’intéresse pas. Déjà, il y a un problème alors que le président n’est pas nommé car l’ancien bureau n’est pas destitué...»

Toujours convalescent, Ahmed a d’autres envies. Profiter de sa maman Zoubida qu’il visite régulièrement à Casablanca, accompagner le plus longtemps possible ses enfants, sa fille, Zineb, étudiante au Lycée Victor Hugo et son fils, Mehdi, futur ingénieur en environnement. Cultiver sa différence, à Marrakech, loin de son handicap et de la concurrence des grandes écuries marocaines. Et placer Marrakech sur la carte des grandes destinations de courses.

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Placé comme un supplément à la fin du magazine Clin d’œil, le magazine Cheval du Maroc est un rendez-vous incontournable pour les amoureux du cheval et permet, aux non initiés de découvrir la filière équine aux multiples facettes. Il participe, également, à la création d’un lien social entre les différents intervenants du monde du cheval au Royaume. Entre les courses hippiques, le développement du cheval barbe, l’utilisation traditionnelle et moderne du cheval, l’élevage équin, le Salon du Cheval d’El Jadida, le sport équestre, les métiers du cheval ou les cartes postales du cavalier marocain Kebir Ouaddar, les intérêts de lecture ne manquent pas. 

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